Jusqu’à récemment, le système solaire était unique ; nous ne connaissions pas d’autre étoile que le Soleil qui soit entourée d’un cortège de planètes, à cause de la difficulté de détecter la présence de ces planètes. C’est pour la première fois en 1995 qu’une équipe suisse, dirigée par Michel Mayor, a mis en évidence la présence d’une planète semblable à Jupiter autour de l’étoile 51 de la constellation de Pégase (planète dénommée 51 Pégase b). Cette première planète « extrasolaire » surprenait pour la courte distance qui la sépare de son étoile : à peine 5% de la distance entre la Terre et le Soleil. Depuis, plus de 130 planètes extrasolaires ont été découvertes et notre vision de ces mondes extérieurs a profondément évolué. Dans cet article, nous ferons le tour des connaissances acquises presque 10 ans après la découverte de 51 Pégase b, et nous visiterons les idées et projets qui permettront, à plus long terme, de découvrir des planètes semblables à la Terre… si elles existent.
Les techniques utilisées à ce jour pour l’observation des planètes extrasolaires sont presque toutes indirectes. C’est-à-dire qu’elles s’attachent à mesurer et analyser des particularités de l’étoile, mettant en évidence la présence d’une planète. Nous décrirons ici plus en détail les deux méthodes principales, appelées « vélocimétrie » et « transit ».
La vélocimétrie est basée sur la mesure du mouvement d’une étoile le long de la ligne de visée, mouvement que l’on peut estimer précisément en observant la décomposition de sa lumière en longueurs d’onde (le « spectre » de l’étoile). Lorsqu’une planète tourne autour de l’étoile, c’est en fait l’étoile et la planète qui tournent autour de leur centre de gravité (voir figure 2); les sytèmes étoile-planète ont été décrits par les lois de Kepler1 au 17ème siècle. L’étoile parait donc s’approcher et s’éloigner périodiquement, avec une amplitude qui dépend du rapport des masses des deux corps et de la distance les séparant. Ce mouvement induit un décalage infime du spectre de l’étoile, vers le rouge quand elle s’éloigne de l’observateur, et vers le bleu lorsqu’elle s’en rapproche2. On mesure, en fonction du temps, la vitesse radiale de l’étoile, donc la vitesse de son oscillation sur la ligne observateur-étoile.
La vélocimétrie est une technique bien maîtrisée depuis plus de 20 ans. Si elle était d’abord utilisée pour découvrir les étoiles doubles, ayant gagné en précision, elle permet maintenant de détecter une fluctuation de vitesse radiale due à un compagnon planétaire d’une dizaine de masses terrestres seulement. Ces variations sont d’autant plus importantes que la planète est proche de l’étoile, et qu’elle est massive. Ceci explique que l’on ait d’abord découvert des planètes géantes à courte période, comme 51 Pégase b qui accomplit son orbite en seulement 4,2 jours. Une mesure de la masse est donc possible à partir de la courbe de vitesse radiale, ainsi que l’estimation des paramètres orbitaux de la planète. En fait, c’est seulement pour les systèmes planétaires vus par la tranche que la masse mesurée est la masse réelle de la planète. Sinon, on mesure une valeur inférieure de cette masse et il faudrait connaître l’inclinaison de l’orbite pour lever l’indétermination (figure 3). Enfin, cette méthode s’applique de façon favorable à un certain type d’étoiles, à savoir des étoiles assez semblables au soleil (il faut que leur spectre contienne beaucoup de raies d’absorption), et assez brillantes pour que leur spectre puisse être précisément mesuré ; on peut sonder avec les instruments les plus récents les étoiles jusqu’à environ 200 années-lumière.
Fig3
Note 1
La méthode des transits : il s’agit là de tirer profit des rares éclipses provoquées par le passage d’une planète sur le disque de l’étoile. Cette observation nécessite le parfait alignement entre l’étoile, la planète et l’observateur3 et donc il faut observer un grand nombre d’étoiles afin de découvrir quelques uns de ces transits. Ils se manifestent par une baisse momentanée de la luminosité de l’étoile, pendant la durée de l’occultation par le disque de la planète. La mesure des transits fournit une estimation directe du rayon de la planète, si le rayon de l’étoile est bien connu, et de la période orbitale. On mesure le transit sur la courbe de lumière, c’est-à-dire l’évolution temporelle de sa luminosité (Figure 5). Une planète comme 51 Pégase b pourrait produire un transit de 1% de la lumière de l’étoile pendant environ 3 heures. Il faut aussi prendre en compte qu’une étoile de petite taille qui passe devant le disque d’une étoile beaucoup plus grosse (dans un système d’étoiles binaires) produit un « transit » périodique de la même façon, et de caractéristiques assez proches, et donc peut créer des cas de confusion.
Lorsqu’une planète est découverte par vélocimétrie, on en mesure la courbe de lumière à la recherche d’un éventuel transit. Une seule planète à ce jour a été découverte de cette façon (HD209458b). Par ailleurs, il existe des programmes d’observation qui recherchent les transits planétaires, en suivant pendant plusieurs mois les courbes de lumière de milliers d’étoiles. Le programme OGLE, par exemple, a ainsi mis en évidence 4 nouvelles planètes géantes, et STARE en a découvert une autre. Pour ces 6 planètes, il est donc possible d’estimer précisément la masse et le rayon, et par conséquent on a une mesure de leur densité qui peut contraindre les études théoriques d’exoplanétologie. La densité des planètes renvoie à leur nature (gazeuse, terrestre ou éventuellement liquide), à leur formation et à leur histoire.
Dans un futur proche, deux missions spatiales seront en partie dédiées à la recherche de planètes par la méthode des transits : le projet européen CoRoT (lancé en 2006, figure 6) et le projet nord-américain Kepler (2007-2008). Depuis l’espace, des planètes aussi petites que la Terre peuvent être découvertes par cette méthode!
C’est donc la combinaison très fructueuse des deux méthodes ci-dessus, vélocimétrie et transits, qui permet, à la fois de confirmer la présence d’une planète, et en même temps de déterminer ses paramètres principaux : masse et rayon, tout cela, sans jamais apercevoir la planète !!
D’autres méthodes indirectes sont utilisées :
-l’astrométrie, qui mesure la position d’une étoile dans le ciel, par rapport aux nombreuses étoiles situées plus loin ; cette position est affectée par la présence d’une planète, d’autant plus qu’elle est massive et distante (à cause de la gravitation dans le système étoile-planète, comme en vélocimétrie). Il faut pouvoir mesurer des déplacements infimes, ce qui sera Luminosité Temps (j) possible dans quelques années sur l’interféromètre du Very Large Telescope au Chili ou depuis l’espace (mission européenne GAIA et américaine SIM).
-les microlentilles gravitationnelles : elles utilisent une propriété de la relativité générale, qui explique l’amplification temporaire de la lumière d’une étoile par la présence d’une masse invisible sur la ligne observateur-étoile. Si ce corps est un système planétaire, la signature sur la courbe de lumière de l’étoile lointaine présente des particularités liées à la masse et à la distance orbitale de la planète. L’inconvénient est que l’on n’observe l’événement qu’une fois, puis le système planétaire découvert retourne dans l’ombre. Mais la méthode permet d’établir des statistiques sur le nombre de planètes (une planète connue à ce jour).
-le chronométrage des pulsars. Les pulsars sont des résidus d’étoiles très massives, qui ont explosé et dont le noyau tourne sur lui-même à très grande vitesse (un tour en quelques millièmes de seconde !) en émettant de l’énergie par intermittence (comme un phare sur la mer). La méthode consiste à observer le temps d’arrivée du faisceau lumineux émis par un pulsar, en principe extrêmement régulier. Si une planète est présente autour du pulsar, ce temps d’arrivée est périodiquement retardé. Cinq planètes ont été découvertes ainsi ; il reste à comprendre comment elles peuvent résister à la puissance émise par le pulsar, et si elles se sont formées après l’explosion de l’étoile ou bien ont été capturées.
Enfin, les premiers espoirs de détection directe des planètes se profilent à un horizon assez proche ; d’ici 2010, nous aurons découvert des planètes semblables à Jupiter autour d’étoiles semblables au soleil, par une observation directe de leur lumière, malgré le contraste et la faible distance angulaire séparant l’étoile et la planète (Figure 7). Jupiter ou la Terre sont un milliard de fois moins lumineuses que le Soleil dans les longueurs d’onde visibles. Les planètes telles que Jupiter au moment de leur formation sont beaucoup plus lumineuses (en particulier dans les longueurs d’onde infrarouges) car elles sont encore en phase de refroidissement et émettent de l’énergie ; le contraste n’est « plus que » d’un million, et donc à la portée des prochaines caméras qui équiperont les grands télescopes. Ces observations des premiers âges des planètes géantes sont très importantes pour connaître les conditions de formation de ces planètes et pour comprendre dans quels cas leur migration vers l’étoile se produit.
Méthode | Jupiter | Terre | 51 Pegase b | Expériences |
Vitesses radiales amplitude périodicité |
12 m/s 12 ans |
10 cm/s 1 an |
100 m/s 4 jours |
ELODIE SOPHIE HARPS |
Transit : profondeur probabilité périodicité durée |
1 % 0.1% 12 ans 30 heures |
0.01 % 0.5 % 1 an 13 heures |
1 % 10% 4 jours 3 heures |
OGLE STARE CoRoT Kepler |
Imagerie : contraste distance angulaire |
1.5 milliard 0.5″ à 32 a.-l. |
10 milliards 0.1 “ |
6 millions 0.05 “ |
VLT-NACO HST VLT-PF JWST |
Astrométrie : amplitude |
0.5” (à 32 a.-l.) | 0.01” (à 32 a.-l.) | 0.005” (à 32 a.-l.) | VLT-PRIMA GAIA SIM |
Note 3
En novembre 2004, nous connaissons 133 planètes hors du système solaire. Les planètes découvertes à ce jour ont des caractéristiques très variées, et différentes de celles de notre système solaire, parce que celles-ci sont difficiles à détecter (des planètes proches du soleil mais peu massives, des planètes géantes et loin du Soleil). La plupart des planètes extrasolaires connues sont donc des géantes proches de leur soleil. Nous savons aujourd’hui qu’au moins une étoile sur 20 possède une planète. Le nombre de ces planètes augmente de façon importante quand leur masse est petite – ce qui augure de nombreuses nouvelles découvertes lorsque les technologies et la connaissance des étoiles permettront de détecter des planètes aussi peu massives que la Terre.
Quinze systèmes planétaires ont été découverts, c’est-à-dire que plus d’une planète tourne autour de la même étoile. C’est le cas de Upsilon Andromedae qui contient au moins trois planètes de période : 4.6 (b), 241 (c) et 1284 (d) jours (Figure 8).
Pendant l’été 2004, 3 planètes de très petite masse ont été découvertes. La plus légère d’entre elles, µ Ara b, a une masse de seulement 15 fois la masse terrestre (environ la masse de Uranus) et sa période orbitale est de 9.5 jours. Elle pourrait être la première planète de type rocheux (c’est-à-dire de forte densité) si elle avait été formée à l’intérieur du système planétaire. Il est aussi possible que cet « Uranus chaud », de type gazeux, ait voyagé vers l’étoile après une formation à grande distance.
Les astronomes ont été très surpris de découvrir des planètes très massives à des distances très courtes de leur étoile ; pour exemple, la période orbitale la plus courte trouvée à ce jour est de seulement 1.2 jour (l’équivalent de notre année !) ; cette planète dans une course folle autour de son étoile, OGLE-TR-56, est par ses autres caractéristiques (masse et diamètre), semblable à Jupiter. Ces planètes ont été dénommées « Jupiters chauds » à cause de leur température effective supérieure à 1000° due à la proximité de l’étoile.
Un autre résultat étonnant, apparu il y a quelques années, est que les planètes sont beaucoup plus nombreuses autour d’étoiles dont la composition chimique est riche en éléments lourds. Ceci pourrait s’expliquer par la chute successive de planètes dans leur étoile, qui enrichirait peu à peu l’étoile. Une autre théorie consiste à dire que les planètes se forment majoritairement dans les systèmes où la composition en métaux est particulièrement riche.
Enfin, une autre particularité est observée : les planètes semblent tourner autour de leurs étoiles avec des orbites (elliptiques) parfois très allongées, alors que dans le système solaire, toutes les planètes sauf Pluton ont des orbites quasiment circulaires (Figure 10). Les Jupiters chauds, eux, ont en général une orbite circulaire, à cause des puissants effets de marée de l’étoile toute proche. L’origine de l’ellipticité des orbites n’est pas expliquée à ce jour.
Le faible nombre de planètes observées à des distances de plus de 4 fois la distance Terre- Soleil (l’ « unité astronomique » ou UA) illustre un biais des méthodes indirectes, et non la réelle proportion de ces planètes : en vélocimétrie, il faut observer pendant une période entière pour mettre en évidence la planète. Les plus longues périodes sont donc défavorisées. La découverte de planètes distantes par vélocimétrie demandera de la persévérance…
La distribution des masses, quant à elle, semble indiquer deux mécanismes différents pour la formation des planètes et des étoiles (figure 9). Elle montre aussi la relative absence des « naines brunes », des corps intermédiaires entre les planètes et les étoiles, dont la masse est comprise entre environ 15 et 80 fois celle de Jupiter.
Les planètes se forment dans un disque de matière gravitant autour d’une étoile. La première évidence en est l’observation que les planètes du système solaire sont toutes dans le même plan de révolution, à part Pluton dont l’origine parait différente. La seconde preuve que les planètes se forment dans un disque autour de l’étoile, est la découverte de quelques dizaines de systèmes planétaires jeunes, de seulement quelques millions d’années, dans lesquels on observe un épais disque de matière autour des étoiles naissantes (figure 11). C’est le cas de la célèbre étoile Beta Pictoris, âgée de 10 millions d’années et située à 60 années lumière de la Terre. Son disque montre déjà des signes d’évolution : il est peu dense, et une anomalie symétrique dans la partie interne fait penser à la présence de jeunes planètes, actuellement non observables. D’autres étoiles enfouies dans des disques épais sont connues, en particulier dans la nébuleuse d’Orion qui est une des pouponnières les plus riches dans notre environnement galactique. Planètes Etoiles Naines Brunes Masse de Jupiter
Les théories de la gravitation et l’hydrodynamique permettent de mettre en place des modèles de formation stellaire et planétaire. Les planètes géantes seraient ainsi formées à l’extérieur du disque, dans la zone où les matériaux réfractaires, et en particulier la glace d’eau peuvent être condensés ; cette limite se trouve à quasiment la distance Soleil-Jupiter, pour une étoile semblable au soleil. La formation des planètes commence par l’agglomération de grains de poussière, qui deviennent des cailloux, de plus en plus massifs, qui eux-mêmes se rencontrent dans des collisions et se collent les uns aux autres. Par un effet similaire à une boule de neige, progressivement de plus en plus efficace, les planètes deviennent plus massives. Au moment de leur formation, elles ouvrent un sillon dans le disque de poussière et de gaz de l’étoile (figure 12). La matière qui y était contenue sert à former la planète. A cause d’interactions avec une autre planète, une étoile voisine, ou le disque lui-même, les planètes ainsi formées à grande distance pourraient alors commencer à migrer vers l’intérieur ou l’extérieur du disque, en fonction des conditions initiales (la masse de l’étoile, la densité du disque, la masse et la distance du compagnon). En quelques millions d’années seulement, le système est formé et peut trouver sa stabilité.
Les questions posées par la découverte des planètes extrasolaires pour la formation planétaire concernent donc essentiellement les points suivants :
– Les planètes situées à très courte distance pourraient-elles se former « in situ » (c’està- dire à cette distance orbitale) ou sont-elles soumises à la migration ?
– Quels mécanismes exacts sont responsables de la mise en route et de l’arrêt de la migration ? Peuvent-ils expliquer tous les systèmes observés aujourd’hui ?
– Coexistence de planètes à plus grande distance dans des systèmes où l’on observe des planètes à très courte période ? Quelles sont l’évolution et la stabilité des systèmes à plusieurs planètes ?
– …
La recherche des systèmes extrasolaires est en plein essor ; les projets se multiplient pour construire des instruments de plus en plus précis, en partie dédiés à la recherche d’autres mondes. Les principales orientations sont les suivantes :
-découvrir un grand nombre de planètes géantes, afin de comprendre les mécanismes de leur formation et pouvoir décrire la physique de leur atmosphère. Cette étape est accessible à des observations faites depuis la Terre, à condition de corriger à très haut niveau les perturbations dues à l’atmosphère terrestre (figure 13) ou les oscillations propres à l’étoile, selon la méthode employée. C’est par la combinaison de diverses méthodes que les chercheurs parviennent à retracer la fiche d’identité de la planète et son évolution. La méthode des vitesses radiales fournit une mesure de la masse planétaire, l’observation des transits donne son rayon, et la détection directe (figures 13 et 14 gauche) sert à contraindre la physique de l’atmosphère planétaire, elle-même reliée aux paramètres suivants : masse, rayon, âge, température de surface, composition de l’atmosphère.
-découvrir les premières « exo-terres », des planètes similaires à notre Terre, depuis l’espace, et en obtenir le spectre. La motivation ultime est la recherche d’une planète abritant la vie hors de notre système, et pour commencer, une vie basée sur la chimie du carbone comme sur la Terre. Les astronomes ont adopté une approche pas à pas pour la recherche de la vie : 1. trouver des planètes de type tellurique ; 2. trouver ces planètes dans la zone « habitable » de leur étoile, c’est-à-dire à une distance orbitale qui permette que l’eau liquide y soit abondante en surface (on peut montrer que l’eau liquide est le milieu le plus favorable à une chimie complexe, menant à la biologie) ; 3. rechercher les signatures de traceurs de vie, tels que l’oxygène ou ses dérivés (figure 15). Il faudra envoyer dans l’espace des instruments très sophistiqués, capables de séparer la lumière de l’étoile de celle de sa planète, et d’analyser le spectre de cette dernière. C’est l’objectif principal du projet de mission spatiale européenne Darwin/IRSI (figure 14 droite) ou son équivalent aux Etats-Unis Terrestrial Planet Finder.
Livres de vulgarisation :
« Les nouveaux mondes du cosmos » de Michel Mayor et Pierre-Yves Frei (Seuil, 2001)
« Mondes lointains: à la recherche d’autres systèmes solaires » de Claude Bertout (Flammarion, 2003)
Sites internet :